• Gaël Octavia en écriture continue par Hypothèse......

                       

     Gaël Octavia est née à Fort-de-France, l’année du vote de la loi informatique et libertés, interdisant le fichage systématique des citoyens. Dans le domaine de la culture, ce fut l’année de l’inauguration du Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou, à Paris où elle vit actuellement. Sans tomber dans un fichage détaillé au possible sur son parcours, il est  fort utile de préciser que l’écriture théâtrale entres autres, est son activité principale (Moisson d’Avril, le Voyage, Congre et Homard). Elle dit s’intéresser  à la peinture (Deux Heures, Coexistences, écorché…) et à la vidéo (Cocktail, La plus belle conquête de l’homme…).En périphérie, elle est ingénieur en systèmes d’information depuis 2001. Aujourd’hui, elle est responsable de la communication de la Fondation Sciences Mathématiques de Paris. Bref, c’est une route comme une autre, sans regrets d’avoir choisi cette route-là plutôt que cette route-là. Du reste, comment regretter ce qui  ne s’est pas passé, si ce qui ne s’est pas passé, ne s’est pas passé. Ce sont les termes qu’elle utilisera, lors de la rencontre, pour sans doute ne pas perdre de vue, le sens progressif de sa trajectoire, en continu. 

      

     

     Nous prenons rendez-vous au Point éphémère (Quai de Valmy, paris 10). Mais avant, je lui envoie ces quelques mots: J’aime instantanément, les mots qui se posent en simples hypothèses, humblement. Pile à cet endroit où presque tout le monde aurait tendance,  à se vautrer en prétendant tout savoir ; Aurait tendance, à se moquer parce qu'ils ne cherchent pas à savoir. Tes mots m'ont embarquée dans une forme d'errance. On nage, ça remue, on rame. Au beau milieu de la  Folie, de l'Absurde. C’est compliqué, et pourtant, c'est transmis simplement par un tiers à priori plus accessible dans Le Voyage). Et chacun prendra ce qu'il peut au mieux...C’est ainsi que j’ai pris au mieux pour adapter mon entretien, à un parcours de vie qui serait fondé de constructions étranges et  se situerait entre le conte et le jeu de lego. Et en même temps, tout le reste repose dessus.

     

     Le Face-à-face : des « Petits Papiers Bio-graphie» disposés en nombre dans une pochette, choisis au hasard par Gaël Octavia. Elle en choisira 10 sur une vingtaine____________...

     

     

    Cocktail // The Artist : « Je suis la projection de son fantasme d’acteur »  dit Jean Dujardin au réalisateur  Michel Hazanavicius (Petit papier)    

                                                                         

     Cocktail et The Artist ont pour point commun d’être en Noir et Blanc et d’être des films muets. J’ai vu The Artist. Je n’avais pas fait le lien avec Cocktail. Mes parents, pour plaisanter ont pensé, c’est marrant, tu as fait un film muet,  il y a deux ans, et là il y en a un qui cartonne. Ils t’ont piquée l’idée, tu étais en avance….Aujourd’hui, faire un film muet, en noir et blanc, à l’heure où l’on a tant de moyens, c’est assez jubilatoire. Les acteurs sont dans  un jeu très différent. On est dans un jeu plus joué…Plus expressionniste. Cocktail est un film de remplacement.

    Ce n’est pas le film que je voulais faire cette année-là. Et ces histoires d’empoisonnement, c’est quelque chose qui me taraude depuis longtemps. Il y a une période de ma vie où, j’ai écrit plein de scénarios qui parlaient d’amour et de mort en reliant les choses de manière très directe. Le meurtre par empoisonnement est un acte, assez raffiné finalement : créer un cocktail fatal, cela demande une certaine réflexion et une forme de création. J’en parle aussi dans  Congre et Homard  lorsque C dit à H (Il lui offre tout le temps du rhum et l’autre refuse) : "tu crois que j’ai empoisonné le rhum…Empoisonner le rhum, c’est un raffinement de philosophe."

      

    La projection du fantasme d’acteur ….? (Hors papier)

     

    Je ne sais pas comment les acteurs vivent le fait de jouer dans mes films mais moi, je n’ai pas de fantasme d’actrice. J’ai déjà joué de la comédie en amateur. J'ai adoré le faire et je suis extrêmement admirative des acteurs qui jouent bien. En revanche, ce n’est pas à ce niveau-là que j’ai envie d’être.

                                           

                                

     

    Le fait d’avoir déjà joué, est-ce un atout pour l’écriture de scène? (Hors papier)

     

    Je ne sais pas mais il me semble que j’écris aussi bien le théâtre que les scénarios. Quand je lisais de très bonnes pièces, bien écrites, j’avais envie de jouer tous les personnages.  Et c’est d’abord pour cela que j’écris. Et, l’idée c’est d’écrire pour susciter le désir de l’acteur pour le texte. 

     

    Gaël s’écrit au féminin Gaële ou Gaëlle... (Petit papier)

     

    (Elle sourit)… Je pense que cela vient surtout, de ma mère. Je ne l’ai jamais mal vécu et je suis plutôt heureuse que mon prénom s’écrive ainsi. Maintenant l’interprétation, disons, psychanalytique, que j’en fais, est plutôt positive. Contrairement à ce l’on pourrait penser, mes parents ont toujours voulu des filles. Malgré cela, ils m’ont donnée, un prénom mixte écrit au masculin. Et, c’est là que commence le paradoxe (qui n’est pas vraiment un paradoxe). Mes parents sont des gens plutôt féministes, en tous les cas sensibles, aux difficultés qu’il peut exister dans un parcours de femme. L’intention, c’était : on veut des filles mais qu’elles aient tous les droits qu’ont les hommes, que rien ne leur soit interdit sous prétexte que ce sont des femmes. Donc on leur donne symboliquement un phallus. C’est pour cette raison que je trouve que c’est une intention extrêmement positive.

     

    Je Sais Bien mais quand même(Petit papier)

     

    (C’est difficile ça !)Je ne sais pas. Il y a une idée de transgression là-dedans : je sais bien que c’est interdit mais quand même je le fais. C’est ainsi que Je l’entends (Gaël n’en dira pas plus passant très vite à un autre petit-papier…Bien.)

     

    « Il n’y a pas de mère s’il n’y a pas de père » (petit papier)

     

    Je reconnais la phrase d’Une Vie Familiale. En effet, la question du père me tient à cœur. Mon père tient une place importante, dans ma vie, dans mon éducation. Et j’ai quand même grandi dans une société où il y a beaucoup de femmes seules, où la mère est glorifiée dans sa position de femme qui souffre. Elle assume tout, c’est, le PotoMitan. Je suis contre le mythe du PotoMitan : la présence du père, c’est vital. Ma mère dit souvent, le père, c’est la colonne vertébrale de l’enfant. Je pense que c’est vrai. Aux Antilles, on aurait tendance à banaliser l’absence du père. Il est accessoire. Il se croit lui-même accessoire. En somme, il est accessoirisé ce qui ne devrait absolument pas être le cas.

    Cette femme PotoMitan que l’on glorifie, a des failles qu’elle transmet à l’enfant. Dans Une Vie Familiale, qui peut se lire de trois façons, j’essaye de décrire la femme mal aimée, dans la confusion…Entre sa vie de femme et de mère. C’est une des lectures possibles. Je pense aux mots de Marie Darrieussecq, le rôle du père dans une certaine mesure, c’est de rendre la mère heureuse pour qu’elle ne rende pas fous les enfants. Par conséquent, dans une  famille, on est responsables, les uns des autres : le père par rapport à la mère et réciproquement. On est aussi, responsables de la peine que l’on fait à l’autre qui rejaillit sur la manière dont on se comporte avec ses enfants. C’est une sorte de cercle terrible de désamour : la femme, mal aimée devient une mère, mal aimante. Il y a un peu de fatalité dans une vie familiale. Ce n’est pas une pièce très optimiste…

     

    (Oula, ou lala…l'hypothèse du Continu..). J’aime, en effet tout ce qui touche aux mathématiques des fondements. Et l’hypothèse du continu fait partie des grandes questions qui ont secoué les mathématiciens du début du 20e siècle. Certaines n'ont toujours pas trouvé de solution. Pour d'autres (dont cette fameuse hypothèse), la solution est très inattendue, stupéfiante... En mathématiques, il y a une crise des fondements au début du 20 e siècle. Les mathématiciens se sont vraiment posé des questions sur la structure des Maths : est-ce que les maths peuvent se contredire elles-mêmes ou bien, est-ce que l’on peut prouver ce que l’on appelle la consistance des Maths avec des Maths ? La question est, avec les propres outils d'un système, est-ce que l’on peut prouver la consistance de ce système ? (etc.)L’hypothèse du continu porte sur les infinis, sur les différents types d’infinis : comment sont les infinis les uns par rapport aux autres (on a démontré que l'infini des nombres réels était "plus grand" que celui des nombres entiers) ? Combien de types d'infinis a-t-on ? On sait qu'on en a au moins deux mais est-ce qu'il y en a plus ?

     

    Dans ton article de 2010, Coup d’œil sur l’infini avec Woodin qui évoque l’hypothèse du continu, tu écris : « il me semble que c'est à cet endroit-là que les mathématiques se rapprochent le plus de l'art » (Hors-papier) 

     

    Oui. Dans la création littéraire, notamment : on crée des mondes, on crée un univers. Et la question de la consistance des univers que l’on crée, se pose inévitablement. C’est très similaire. Depuis que l’on a démontré la non consistance des mathématiques, les mathématiciens doivent admettre qu’ils sont dans une construction imaginaire, voire, poétique.

    On manipule des objets qui obéissent à des lois qu’on a inventés soi-même et on les fait inter réagir, exactement comme le ferait, un romancier ou un dramaturge. On invente un monde, des personnages qui sont liés  par des règles inventés mais structurés, pour que cela fasse sens.

    C’est donc, comme en mathématiques : on ne fait pas n’importe quoi et en même temps on agit sur quelque chose de complètement abstrait ou poétique. Les questions existentielles que se posent les mathématiciens sur la théorie des ensembles par exemple, sont très proches de celles du  romancier qui finit par croire en ses personnages. Il est vrai que dans les livres qui m’ont marquée,  les personnages finissent par presque vivre et quand on referme le livre, on se dit qu’on ne les reverra plus. Ils nous manquent et nous accompagnent…

     

                                 

     

    Toujours dans ce même article, tu affirmes : « C'est l'occasion de se poser le genre de questions qui empêchent de dormir, et de trouver - quand on trouve - des réponses surprenantes ». C'est-à-dire ? (hors-papier)

     

    Dans ce que tu as lu, je parlais de mathématiques, précisément. Si l’on prend l’exemple du fameux théorème d’incomplétude : on ne peut pas prouver mathématiquement la consistance des mathématiques. Autrement dit, on a démontré que l’on ne peut pas démontrer la cohérence des mathématiques, mathématiquement .

    En réalité,  on démontre Mathématiquement que l’on ne peut pas démontrer mathématiquement. Bref ! Ça, c’était  une question énorme, celle de la consistance et de la cohérence des mathématiques et la réponse est absolument étonnante. Si les réponses amènent à d’autres questions, pour moi, la seule question qui vaille la peine d’être posée, c’est la question du bonheur.

    En tous les cas, je fais partie des gens qui voudraient être heureux et c’est très compliqué...C’est peut-être aussi ma philosophie de vie, basée sur l’apprentissage. Je suis en perpétuel apprentissage. Je ne regrette donc jamais le passé, ce que j’ai fait. Car, pour regretter il aurait fallu vivre l’autre expérience. On regretterait, quoi ? Un choix ? D’avoir choisi cette route-là plutôt que cette route-là ? Comment regretter ce qui  ne s’est pas passé, si ce qui ne s’est pas passé, ne s’est pas passé….. ?!

     

    Es-tu heureuse dans le choix de cette route? (Hors-papier)

     

    Parfois, j’ai l’impression que cela complique les choses. Si je n’avais pas dévié de ma trajectoire, si mon bonheur avait été sur le chemin d’être ingénieur, ma vie aurait sans doute été plus simple. Mais bon en même temps comme ce n’est pas celle que j’ai voulu…

                    

                           

     J’adore, le Fouyé Yanm. J’adore aller déterrer des ignames. C’est une tradition familiale. Un de mes oncles, possède un terrain, en Martinique, au Morne Vert, à la campagne. Et avant le jour de Noël, on va déterrer des ignames tous ensemble, en famille avec nos pioches, nos coutelas et nos pelles.

    Il y a ce rapport à la terre… Déterrer, l’igname que l’on va manger avec tout le rituel du Fouyé Yanm : on déterre l’igname, on coupe un morceau qu’on laisse, à la terre pour que cela repousse l’année d’après. Il y a là, un acte très concret. Je pense que c’est peut-être dans ces moments-là que je suis le plus proche de la MartiniqueQuand je suis en train de gratter la terre pour en tirer une igname.

    Ce n’est pas toujours facile d’être martiniquaise, à sa façon, librement. Il y a, en effet, toujours des gens qui vont vous dire comment il faut être martiniquais ou comment il faut être noir.

    Il n’y a rien de plus agaçant que toutes ces théories de gens qui vous assènent leur propre rapport à leur antillanité ou négritude. Et puis à l’opposé de tout ça, il y a ce rapport complètement direct à la terre. Ce moment où je plonge mes mains dans la terre de la Martinique qui me donne ses ignames que je mange.

    Celui, qui va me faire un grand discours sur sa négritude et qui n’a jamais fouillé une igname, j’ai envie de lui dire qu’il n’a rien compris. En tous cas qu’il a encore des choses à comprendre...

     

    Gaël, je suis Martiniquaise, je n’ai jamais pratiqué le Fouyé Yanm, me resterait-t-il des choses à comprendre (sur un mode taquin) ? (Hors papier)

     

    Encore une fois, c’est personnel. Je ne vais pas non plus asséner cela à quelqu’un mais je lui dirai que moi je ne me sens jamais aussi Martiniquaise que quand je déterre une igname en famille, qui plus est. En réalité, je prends un tel plaisir, un tel bonheur, à fouiller des ignames que j’aimerais inviter chacun à le faire. Et celui qui est heureux dans son identité, n’impose rien, il invite.

    En revanche, dans la revendication dure, le rapport tyrannique que certains peuvent avoir,  traduit forcément une souffrance, une tristesse...Le Fouyé Yanm, vraiment je le recommande !

     

     Touche-à-tout ? C’est peut-être ma manière à moi de rendre hommage aux choses et aux artistes que j’admire…

     

    Vincent Byrd le sage… (Petit papier)

     

    C’est mon acteur fétiche. C’est un comédien qui fait son métier avec passion, avec toutes ses tripes. Il ne fait pas semblant. C’est l’artiste avec toute la douleur, l’énergie, la passion que cela comporte.Pour La plus belle conquête de l’homme … Je le trouvais assez fou pour pouvoir incarner cette espèce de cavalier. J’ai aimé ce qu’il en a fait et c’est pour cette raison que j’ai eu envie qu’il joue aussi dans Cocktail

     

    Dans La plus belle conquête de l’homme(2007) : un homme cherche son cheval… Une femme chercherait ? (Petit papier)

     (Éclats de rires). Son cheval aussi. En fait le cheval se dresse, est un animal dressé sur lequel on s’assied…Donc je crois qu’une femme cherche aussi son cheval…

                                     ...

    Deux heures ? (Petit papier)

    Oui, il y a une époque où sur mes tableaux j’écrivais des heures. C’est l’époque où j’avais du temps, où j’avais démissionné de mon travail d’ingénieur. Je vivais sur mes économies (sans toucher d’ASSEDIC etc.). Je me réveillais non pas pour aller travailler, mais pour peindre et écrire. D’ailleurs, c’est à ce moment là que j’ai écrit la pièce, le Voyage et un roman (qui restera sans doute dans mon tiroir). Ce fut, une période très fructueuse et en même temps très incertaine, d’où mon rapport au temps très particulier retranscrit sur les tableaux. La notion du temps, c’est un grand problème pour moi. Je mets beaucoup de temps à écrire un roman par exemple…

     

    Où en es-tu ? (Hors  papier) 

    J’en suis au moment où ça commence à monter, doucement... Et j’espère que le dénouement arrivera le plus tard possible.

     

    Qu’attends-tu  de ce TOUT ? (Hors  papier)

     

    Ce qui est intéressant, c’est, le parcours en train de se faire…Que je suis en train de vivre en ce moment, et ce, à cause de toute cette incertitude. En revanche, une chose est certaine, l’écriture est mon activité la plus importante. Après, dire ce que j’en attends…Réussir à écrire un roman du calibre de ceux qui ont changé ma vie…? C’est l’objectif.

     

    Un roman…? (Hors papier)

     

    Je ne pourrais pas en parler de manière objective. Je suis trop dedans pour analyser cela. En tous cas, je n’écris plus avec une intention ou avec un thème au départ. Quand je l’ai fait pour  Moisson d’Avril  où il y avait une vraie intention, ça n’a pas marché…Un roman devrait s’écrire tout seul…

     

    Propos recueillis par Marie-Claude Eudaric

     

    POURINFO PLUS

    Publication récente

    Congre et Homard(Théâtre) est publiée en partenariat avec l’association ETC_Caraïbes, qui promeut le théâtre caribéen. Est disponible sur les sites de la FNAC ou  des Editions Lansman : www.lansman.org – Tél : +32 64 23 78 40 – Fax : +32 64 23 78 49 – E-mail : info@lansman.org

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    http://www.byrdlesage.com/

    http://hyderabad.over-blog.com/article-coups-d-oeil-sur-l-infini-avec-woodin-56078309.html

    http://www.afrik.com/article19761.html

    http://www.carolinerochefort.com/gael-octavia/

    http://guadeloupe.coconews.com/actualite-guadeloupe/tag/gael-octavia/

    http://www.africultures.com/php/index.php?nav=personne&no=22372

    http://www.madinin-art.net/textenpawol/dossier-de-presse-tep2006.html

     

     

     

     

     


  • Commentaires

    1
    MCEUDARIC
    Vendredi 10 Février 2012 à 11:53
    Remerciements à
    Gaël Octavia
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